29 déc. 2011

Ivanishvili, un mystérieux oligarque contre le président Saakachvili

Francophile et francophone, mécène apparemment désintéressé, l'homme le plus riche de Géorgie assure vouloir aider son pays à recouvrer ses libertés bafouées. Publication sur slate.fr :

http://www.slate.fr/story/48105/ivanishvili-saakachvili-georgie

©slate.fr

28 nov. 2011

Bera, la subversive midinette géorgienne

Bera. Un prénom commun pour un géorgien. Nom ? Ivanishvili. Le second fils de l’oligarque Bidzina Ivanishvili, chanteur à ses heures, peu voire pas écouté du tout sur les ondes occidentales, soutient le projet politique pacifique de son père de voir l’alternance et l’état de droit respectés en Géorgie

Suivi par plus de 170000 personnes sur Facebook, l’adolescent né à Paris, formé à NYC, est récemment devenu l’étoile montante du Caucase aux côtés de son père. L’un en chanson, l’autre en politique.

Depuis début octobre, la saga démarrée en trombe suite à la décision du père de s’occuper des affaires publiques du pays déchaîne les passions dans la petite république géorgienne. Homme le plus riche de Géorgie avec une fortune estimée à cinq milliards de dollars selon Forbes, Bidzina Ivanishvili défie le président Mikheïl Saakachvili, figure de la révolution des Roses installé confortablement au pouvoir depuis 2004.

Alors que le père sort d’une ombre particulièrement bien protégée depuis son retour de Russie il y a neuf ans, le fils se donne à voir sur les réseaux sociaux. Bera, qui jouait du violon à l’âge de cinq ans et du piano deux ans plus tard, a fait de la musique une carrière. L’aisance financière aidant, il rencontre et travaille avec les plus grands, de Snoop Dogg à MC Solaar, et compte parmi les producteurs de ses débuts Rob Fusari, producteur de Lady Gaga, et Rodney Jerkins, producteur de Michaël Jackson.

Il fait néanmoins vraisemblablement dans la niaiserie pour midinettes. Pour s’en faire une idée, écoutons sans en abuser un petit brin de lovely things.

Le chanteur au physique albinos dit vivre de ses rêves, un peu comme Mickey. Le monde de Bera – il suffira de passer une journée avec lui pour s’en rendre compte – est constellé de bonbons, de gardes du corps attentifs et de fringues hype.

Depuis l’une des trois résidences titanesques de papa à Tbilissi, Chorvila ou encore Ouréki sur les rives de la mer Noire, la Géorgie de Bera, où se côtoient dauphins et zèbres sur fond de Picasso à 95 millions de dollars, a sans doute un peu de ce parc féérique de Marne-la-Vallée. Si non loin du RER on appelle les petits et les grands à « vivre leurs rêves », Bera, lui, veut aujourd’hui faire vivre le rêve géorgien dans son pays.


« L’occurrence de l’espoir. Ensemble nous pouvons tout. J’ai rêvé toute ma vie de ce rêve géorgien (…) Nous sommes tous Géorgiens, de vrais Géorgiens. Georgian Dream, le rêve géorgien. Des pieds à la tête, nous sommes tous Géorgiens. Géorgiens. Géorgiens ».

Certes faible en poésie, le morceau de rap lui permet au moins de quitter un temps ses figurantes nord-américaines en plastique pour retrouver quelques jeunes compatriotes le temps d’une marche subversive. Posté le 14 octobre dernier sur son profil Facebook, le titre a fait le tour du pays et de la diaspora, suscitant l’engouement politique plus que musical. Désolé Bera, mais il faut dire ce qui est !

La distribution de t-shirts dans le clip, marqués du sceau de sa maison de production, n’est pas sans évoquer un appel au rassemblement, un appel à la défiance au pouvoir en place particulièrement peu friand des manifestations de protestation. D’autant que le logo en question est adopté par le mouvement politique fondé par son père quelques jours plus tard, suite à sa déchéance de nationalité par le président Mikheïl Saakachvili, ce dernier souhaitant écarter le dangereux candidat des élections parlementaires de 2012 et présidentielles de 2013.

Des Géorgiens portant le t-shirt « Georgian dream » auraient été arrêtés, quant à l’imprimeur il aurait été contraint de mettre la clé sous la porte. La Cartu Bank, propriété de Bidzina Ivanishvili en Géorgie, a été placée sous contrôle judiciaire pour blanchiment d’argent.

En un mois, la politique géorgienne est sortie de sa torpeur et prend un nouveau coup de jeune (La révolution des Roses de 2003 n’avait amené au pouvoir que des trentenaires dont Mikheïl Saakachvili, ndlr). Pour l’heure, Bera pousse la chansonnette tandis que Bidzina s’essaye aux conférences de presse, multipliant les rencontres afin de recouvrer sa nationalité, condition sine qua non à une candidature politique. Dernière en date, Ilia II, le patriarche catolicos géorgien, qui a appelé le Président à restaurer la citoyenneté de l’oligarque. Georgian dream vs. Misha (Mikheïl Saakacvhili, ndlr), bienvenue sur le ring caucasien.

Pour ceux qui en revoudraient, en mode atlantic-soap, Mère.

28 oct. 2011

Ivanishvili, l’oligarque qui fait trembler Mikheïl Saakachvili

Après avoir fait valoir son intention de concourir à l’élection présidentielle, Bidzina Ivanishvili s’est vu en deux semaines déchoir de sa nationalité et attaquer par les autorités de Tbilissi. Accusé d’être au service du Kremlin, le mécène francophile qui fit sa fortune en Russie – estimée à 5,5 Md selon Forbes – fait trembler le pouvoir en place.


Le 5 octobre dernier, Bidzina Ivanishvili, jusqu’à lors peu audible et peu visible car volontairement éloigné des journalistes et de la politique, annonce sa décision « d’établir un parti politique afin de participer aux élections parlementaires de 2012 ».

Le 7 octobre, il persiste et signe, publiant via son service de presse une interview plus longue, explicitant ses motivations pour entrer en politique. « Le monopole total du pouvoir et des amendements constitutionnels par le président Saakachvili, qui révèle clairement ses intentions de rester à la tête qu’elles que soient les échéances, ont motivé ma décision de fonder un parti et de concourir aux élections parlementaires de 2012 », écrit-il. Accusant Mikheïl Saakachvili d’avoir commis des « erreurs impardonnables », il dénonce l’obstination d’un Président qui face à ses errements « comme tout homme politique équilibré, devrait avoir quitté la politique et demandé pardon à son peuple ».

L’oligarque condamne le régime issu de la révolution des Roses, décrivant une omerta sur le milieu des affaires au travers de la pression exercée par les services fiscaux et judiciaires dans le seul intérêt d’enrichissement du groupe Saakachvili. Il parle de la dispersion par la force des manifestations publiques durant lesquelles des participants disparaîtraient, suscitant la terreur des populations, et dénonce les « mensonges » qui abreuvent le discours médiatique dans lequel Saakachvili se positionnerait en héros, semant une totale confusion dans un environnement politico-économique indéchiffrable, où l’opposition ne serait là que pour le décor.

L’homme en question, propriétaire aujourd’hui de trois vastes propriétés ultra-sécurisées en Géorgie, s’est enrichi en Russie dans les années 1980-1990 avant de revenir s’installer dans son pays natal il y a une dizaine d’années, multipliant discrètement le financement de projets et les œuvres de charité. Sa fortune, il la crée suite à des études d’ingénierie et d’économie, se lançant au début des années 1980 dans l’import de produits informatiques en Géorgie puis en Russie. Le million en poche, il fonde la banque Rossiiskii Kredit qui lui permet de profiter des privatisations post-soviétiques, décuplant ses avoirs.

La maison de Bidzina Ivanishvili à Tbilissi

Aujourd’hui, « contraint de s’engager face à la dégradation de la situation », Bidzina Ivanishvili annonce la vente de ses actifs en Russie qui représentent un tiers du capital de son groupe, Cartu, et l’abandon de ses nationalités russe et française, afin de ne susciter aucune controverse.

Il va sans dire que les réactions sont nombreuses face à la soudaine vocation d’Ivanishvili, qui convoque déjà les personnalités qu’il souhaite rallier. Guia Khukhashvili, critique et analyste politique, décline la proposition mais avertit la plèbe du potentiel politique de l’homme suite à un entretien en tête-à-tête avec le mystérieux oligarque : « La société (géorgienne, ndlr) sera surprise car beaucoup de mythes entourent cette personnalité et il est dit que sa communication au grand public sera difficile. Eh bien, détrompez-vous ». Irakli Alasania, ancien membre du Mouvement National (le parti au pouvoir, ndlr), ambassadeur géorgien à l’ONU durant le conflit d’août 2008 devenu figure de l’opposition, accepte lui la proposition et ouvre la voie à une coopération.

Du côté du Mouvement National les critiques vont bon train. « La Russie et Vladimir Poutine veulent acheter le futur de la Géorgie avec l’argent de l’oligarque russe Bidzina Ivanishvili », déclare Nougzar Tsiklauri, membre du parti. « Il n’y aura jamais d’argent russe en politique en Géorgie, qu’il soit prêté ou accordé par Poutine », renchérit Pavle Koublashvili, président du comité parlementaire aux affaires légales. La contre-attaque est classique dans les rangs du pouvoir quand il s’agit de remettre en question l’ordre établi depuis la révolution des Roses : Ivanishvili est un ennemi du peuple, vendu aux Russes, c’est le bras droit armé de Poutine. L’analyse est immédiatement relayée à grande échelle par les médias.

Le 11 octobre, la nouvelle tombe : Bidzina Ivanishvili n’est pas citoyen géorgien… La rumeur est confirmée dans la journée par l’agence en charge de l’état civil auprès du ministère de la Justice, contresignée par la Présidence. Version officielle : le magnat s’est vu supprimer automatiquement sa nationalité du fait de l’obtention par la suite de la nationalité française. Sans l’en informer. Cela ne l’empêchera pourtant pas de voter en 2010 avec sa carte d’identité géorgienne qui lui avait été remise sur ordre de Mikheïl Saakachvili en 2004 pour répondre aux « intérêts de l’Etat ».

Le 14 octobre, Bera, le fils rappeur de Bidzina, publie sur son profil Facebook son un clip intitulé « Georgian dream » qu’il dédie à son père, appelant la Géorgie à s’unir et à poursuivre le rêve. Quelque peu subversif au regard du contexte politique, le succès est immédiat. Plus de 10.000 partages et de multiples relais se mettent en place sur la toile. A Tbilissi, plusieurs personnes portant des t-shirts sont arrêtées et le même sort est réservé aux potentiels imprimeurs, mais la pompe semble déjà amorcée. Pour ou contre, l’affaire suscite déjà l’engouement et les prises de positions se multiplient dans la blogosphère et sur les réseaux sociaux.

Le 18, un camion blindé de la Cartu Bank, propriété principale d’Ivanishvili en Géorgie, est saisi par les forces de police lors d’un transfert depuis la Banque de Géorgie, banque commerciale aux liens ténus avec l’Etat. Deux millions de dollars et un million d’euros en petites coupures sont saisis. L’institution de l’oligarque est immédiatement accusée de blanchiment d’argent. Jusqu’alors, ces officiels transferts hebdomadaires de liquidité avaient lieu chaque semaine, sans trouble. Etrange.

Le dôme du palais présidentiel depuis le quartier de Sololaki

Face aux attaques, la première fortune de Géorgie – devant l’Etat géorgien lui-même – ne se dégonfle pas et multiplie les interviews depuis son quartier général colossal qui domine la capitale, au sommet de la montagne opposée au palais présidentiel. Avouant être « non-préparé » à entrer en politique en l’absence d’équipe constituée, Bidzina Ivanishvili promet de résoudre ce problème rapidement. Quant à sa déchéance de nationalité, « s’ils m’excluent des élections de cette façon, elles ne seront pas légitimes ». Affaire à suivre…


19 oct. 2011

La Russie dans l'OMC conditionnée à la voix géorgienne

Après une intervention à l’ONU, réaffirmant l’occupation russe des territoires d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, dénonçant le jeu russe néo-colonial dans l’espace post-soviétique, Mikheïl Saakachvili, président géorgien depuis janvier 2004, à l’issue de la révolution des Roses, se prépare à accueillir Nicolas Sarkozy, attendu courant octobre dans le Caucase Sud. Au programme : l'entrée de la Russie dans l'OMC.


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Mikheïl Saakachvili @AP


Quatre années ont passé depuis la guerre russo-géorgienne d'août 2008 et pourtant, au regard de la résolution du conflit - dont les lauriers ont été attribués à Nicolas Sarkozy, alors Président de l’Union - les accords de cessez-le-feu sont loin d’avoir été respectés par la Fédération russe. L’ennemi juré de Mikheïl Saakachvili qu’est Vladimir Poutine n’a rien lâché quant aux territoires sécessionnistes d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, poursuivant leur intégration progressive dans la Fédération à coup d’installation de troupes militaires et de personnels administratifs, de jeux politiques et de développement d’infrastructures.

Alors que les relations diplomatiques sont rompues entre les deux pays, les pourparlers de Genève dont la Suisse est le médiateur semblent dans l’impasse. La Russie qui travaille sans relâche à son entrée dans l’OMC prévue pour la fin de l’année, voit la petite république d’Irréductibles comme le seul obstacle à son accession, la majorité absolue des membres étant requise et la Géorgie s’obstinant à poser son véto.

Dans l’ombre, les chancelleries européennes et américaines travaillent à négocier ce vote géorgien dans la perspective d’une entrée rapide de la Russie dans l’Organisation. Lors d’une rencontre en marge de l’assemblée générale de l’ONU le 26 septembre dernier, Hilary Clinton s’est entretenue avec son homologue Grigol Vashadzé ainsi qu’avec Giga Bokeria, secrétaire du Conseil national de sécurité géorgien. Au menu : le renforcement des troupes géorgiennes en Afghanistan, mesure présentée comme nécessaire par le gouvernement géorgien pour poursuivre la modernisation de son armée ; la transparence des élections parlementaires et présidentielles de 2013 en Géorgie ; et l’entrée de la Russie dans l’OMC, qui selon la Secrétaire d’Etat, doit être réglée dans le cadre des pourparlers de Genève.

Entre deux chaises, l’Union Européenne comme les Etats-Unis – dont la coopération avec la Russie n’a jamais été plus approfondie, notamment pour le Vieux continent –continuent de soutenir l’indépendance et la souveraineté géorgienne, du moins déclarativement. De l’espace post-soviétique, hormis les pays Baltes, la Géorgie reste la seule république à oser tenir tête au voisin russe.

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La nouvelle station balnéaire d'Anaklia à la frontière administrative abkhaze @louisantoinelemoulec


Après une période d’affrontement matérialisée par l’embargo russe de 2006 sur les produits géorgiens – toujours en vigueur aujourd’hui – et la guerre d’août 2008, l’équipe Saakachvili a fait le choix de l’ouverture et de la provocation idéologique. Face à l’occupation de fait de 20% du territoire géorgien par les forces russes, Tbilissi a réalisé son impuissance militaire à récupérer ces deux territoires. Une stratégie d’ouverture s’est alors progressivement mise en place : ouverture d’un point de passage à Larsi dans le Grand Caucase pour le transit des marchandises par camion entre la Fédération russe et les républiques d’Arménie et d’Azerbaïdjan ; mise en place d’un régime libre de visa de 90 jours pour les citoyens des républiques russes du Caucase Nord avec droit de passage en voiture ; construction de la station balnéaire d’Anaklia à la frontière administrative abkhaze, à la barbe des troupes russes, etc. Et ce avec succès. Les plaques d’immatriculations russes sillonnent à nouveau le pays, les marchandises également, les touristes sont de retour en masse, qu’ils viennent d’Ukraine, d’Europe, d’Israël, d’Iran, d’Arménie, d’Azerbaïdjan, d’Asie Centrale…

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Le poste frontière de Larsi, point unique de transit depuis la Russie @louisantoinelemoulec


Dans le symbolique, il faut reconnaître à Mikheïl Saakachvili un certain talent doublé d’une imagination ingénieuse, dont le but premier est atteint non sans mal : troubler l’idylle du couple russe, tout-puissant au Nord. Dans cette guerre idéologique, le président géorgien ne manque pas une occasion de faire la promotion de sa croisade.

« La Guerre froide est terminée, mais certains dirigeants doivent encore le réaliser et arrêter de raisonner en termes de sphères d’influence, de domination de l’étranger proche et de jeux à sommes nulles. La Guerre froide est terminée, mais embargo, blacklisting et diktats brutaux sont toujours d’usage contre l’Ukraine, la Moldavie ou la Biélorussie. La Guerre froide est terminée mais même les pays Baltes doivent faire face à des manipulations de leurs paysages politiques et à des jeux néo-coloniaux via leurs minorités ethniques », déclarait Mikheïl Saakachvili, le 22 septembre lors de son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU.

Accusant le jeu ethnique et religieux attisé dans le Caucase Nord par les autorités russes, il qualifie la région de « trou noir », souffrant de « violence brutale avec le déplacement et l’exécution de dizaines, de centaines de milliers de ses habitants ». Il y oppose l’ouverture et les libertés géorgiennes, qui attirent indéniablement l’intérêt des populations du Nord Caucase.

Sur la scène internationale, assagi et fort de ses déboires diplomatiques au sortir du conflit de 2008, Mikheïl Saakachvili a appris à composer et à faire valoir les intérêts de sa petite république, mineurs face à ceux d’un géant énergétique et minier tel que la Russie. Après cette intervention à l’ONU, arène de promotion des achèvements de sa mutation, Tbilissi travaille à la rénovation de sa place de la Liberté, au cœur de la capitale géorgienne, où Nicolas Sarkozy est attendu courant octobre pour y réaffirmer le principe de souveraineté et d’intégrité territoriale, tout en discutant en coulisse du monnayage du vote géorgien à l’entrée de la Russie dans l’OMC…

Publié le 28 septembre 2011

22 août 2011

Oni, capitale juive du Caucase

Oni, au coeur de la région géorgienne montagneuse du Ratcha, est la capitale des Juifs du Caucase. A la Synagogue, il n'y a pas foule. Il resterait une trentaine d'entre-eux. Depuis la chute de l'Empire rouge, ils sont près de 1500 a avoir émigré vers Israël, en quête d'un avenir meilleur.






Vacances à Sioni

Un après-midi d'été au lac artificiel de Sioni, dans la région de Tianétie, au nord de la capitale. Ambiance canard en plastique et Tupolev gonflable Made in China sur la plage en béton aménagée le long de la retenue. Autour du lac, des camps de vacances hérités de l'URSS.








11 juil. 2011

La petite Géorgie de Leuville se rapproche de Tbilissi

« Il n’est en aucun question pour le moment que le domaine de Leuville devienne propriété de l’Etat géorgien », précise Irène Tzitzichvili, petite-fille de Noé Jordania, président du gouvernement de la Première république démocratique de Géorgie (1918-1921).

Lundi 23 mai, sous une chaleur de plomb, dans le parc du château de Leuville-sur-Orge (91), Irène Tzitzichvili et Mirza Davitaïa, ministre chargé des Communautés géorgiennes à l’étranger, viennent de signer le « mémorandum concernant la dévolution du domaine de Leuville à la Géorgie ». Tout un symbole pour les citoyens de celle qu’on appelle la « Petite Géorgie », cette Géorgie de France qui fut contrainte à l’exil dans l’Hexagone en 1921, après que l’armée Rouge ait envahi la jeune république du Caucase.

« Toute leurs vies, ils ont vécu dans l’espoir du retour en Géorgie. En vain. », explique Irène, aujourd’hui représentante de la société « Foyer géorgien », cette SCI créée en 1928 pour administrer la propriété de Leuville acquise par des membres du gouvernement en exil.

Un retour qui n’aura symboliquement jamais lieu malgré l’espoir suscité par l’éclaircie de la déstalinisation khrouchtchévienne. L’ouverture progressive du régime suivi du chaos des années 1990 dans l’espace post-soviétique ne permettront pas non plus le rapprochement officiel, malgré l’affirmation du Peuple géorgien en 1991 de la filiation directe avec le régime de 1918 par référendum.

Il faudra attendre l’arrivée de Mikhaïl Saakachvili au pouvoir en 2004 pour que soient entamées des négociations. Derrière cette histoire de Leuville, la communauté de France milite surtout pour que soit commémorée et enseignée en Géorgie l’histoire de cette Première république démocratique, afin de déconstruire l’histoire enseignée par les autorités soviétiques qui s’étaient bien gardées de faire l’éloge de cet épisode politique, optant plutôt pour la diabolisation et l’oubli.

Pourtant, celui-ci, inspiré par la social-démocratie et les régimes occidentaux en gestation, avait institué le jeu démocratique, mobilisant les électeurs, jettant les bases d’un état de droit moderne au profond caractère social. Ce projet de réhabilitation porté par l’institut Noé Jordania compte beaucoup aux yeux de la communauté de France. Et en ce sens, Leuville est un moyen d’arriver à ses fins.

Cette « dévolution » du domaine de Leuville ouvre la voie à une coopération entre la petite Géorgie et l’Etat géorgien. L’idée est de faire de la propriété un lieu de mémoire au travers d’expositions, d’une bibliothèque, de commémorations, en contrepartie de quoi une sensibilisation à cette histoire oubliée sera menée en Géorgie.

Encore faudra-t-il commencer par rénover intégralement le château, on ne parle même pas de l’application des normes en vigueur pour l’accueil du public… Aussi, on est encore loin de Leuville devenu propriété de l’Etat géorgien, ne serait-ce parce que légalement l’avis de l’Etat français reste indispensable.

Pour le moment, sous les arbres qui entourent la longère, le ministre porte un toast entouré d’un représentant de l’Eglise géorgienne et de l’ambassadeur de Géorgie en France, Mamuka Kudava. Sur les tables dressées, khatchapouris, badridjani et vins géorgiens viennent donner au lieu un air encore davantage géorgien. Plusieurs descendants de Noé Jordania dont son fils venu des Etats-Unis sont là pour l’occasion. On se félicite de ce premier pas, de ce rapprochement de pans d’histoire, de mémoire, disséminés dans le temps et dans l’espace. On profite de l’instant, historique.

8 juil. 2011

EXPOSITION - DE BATOUMI AU CAP NORD

Une exposition intitulée
"De Batoumi au Cap Nord"
se tient actuellement à L'écluse

Quai Armand Dayot, Paimpol (22500)


Photos à la vente (40*60)










17 juin 2011

Mai 1967 au Caucase

L’une s’appelle Etékhi. L’autre Dali. Toutes deux sont géorgiennes. De sang. Mai 1967, l’une quitte la France pour la Géorgie, l’autre la Géorgie pour la France. Portraits croisés.

Etékhi, de l’Hexagone au Caucase

Au dernier étage d’une tour soviétique en péril, sur la grande avenue Kazbégui, anciennement Pavlov, vit Etékhi Djakhéli, professeure de piano. Née en 1925 à Leuville-sur-Orge, Etékhi est la fille de Tamara Djakhéli, membre des élites contre-révolutionnaires lorsqu’elle est arrêtée et torturée par les Rouges à Batoumi en 1923. Cette dernière gagne la France où le gouvernement en exil a trouvé refuge. Etékhi naît dans « la petite Géorgie » de Leuville.

Etékhi Djakhéli, dans le salon de son appartement fissuré. Tbilissi. Avril 2011. Copyright: Romain Brisson

Elle se souvient de l’Occupation. « Juste avant la libération, les Allemands enrôlent certains jeunes Géorgiens leur promettant de libérer la Géorgie. J’ai en mémoire l’un d’eux interrogeant ma mère, pleurant, « Mais dis-moi deda*, suis-je coupable ? » Un de ses camarades se pend quand il se rend compte qu’il conduit des camions chargés de Juifs (…) Ma mère fera sortir 23 Géorgiens d’un camp de prisonniers à la fin de la guerre leur évitant le Goulag qui les attendait à leur retour en URSS (…) Elle frôlera la tonsure ».

Sur la table basse du salon menacé par des fissures inquiétantes trônent deux paquets de cigarettes. Malgré ses 80 ans bien avancés, la dame fume, le récit enthousiaste. « Mon cœur a toujours battu pour la France et la Géorgie. Au même rythme », raconte depuis la cuisine cette professeure de piano, « Mon mari travaillait dans le cabinet d’un architecte parisien riche et ignare. Un type absolument infâme. Lorsque ce dernier lui explique qu’il y a des Français sur lesquels on peut marcher et d’autres pas, le choix est fait. Quelle est la différence avec l’URSS ? (…) Et puis on sait alors qu’une relative liberté se met en place là-bas ».

Le départ est précipité, via Moscou, après les larmes versées sur le pont des Arts, la descente au Caucase, en train, inoubliable. Accompagnée d’Otar, son mari, et de ses trois enfants, elle rejoint un pays qu’elle ne connait que de littérature, de culture et de témoignages. Nous sommes en mai 1967.

Dali, de Sololaki à Paris

Une enfance soviétique au milieu du multiculturalisme géorgien, Dali Guéorgobiani naît en 1939 à Tbilissi. Dans le quartier historique de Sololaki, au sous-sol de la maison familiale vivent des familles kurdes. « Ils portaient des costumes chatoyants et beaucoup de bijoux », raconte celle qui deviendra plus tard biologiste. « En 1966, alors que nous avions déménagé depuis longtemps, une famille de paysans vient frapper à la porte. Ma mère ouvre. Ce sont eux. Ils m’apportent des bijoux en ambre pour mon mariage. Une promesse d’enfance ».

Dali Guéorgobiani, sur le balcon de son enfance. Tbilissi. Avril 2011. Copyright: Romain Brisson

Dali se marrie à Tbilissi en 1966 à un Géorgien de la communauté de France. Après une longue année administrative, une lettre émanant du cabinet de De Gaulle permettra le départ pour l’Hexagone. Nous sommes en mai 1967.

La maîtresse femme quitte le pays, seule, pour Paris. Une première dans l’histoire soviétique géorgienne. L’année 1966, précédant le départ, est longue. « Les Géorgiennes viennent me voir à mon travail pour voir qui a pu oser faire ça. A mon arrivée à Paris, c’est pareil, les Géorgiens viennent et me touchent pour voir. Ils ne comprennent pas qu’on m’ait laissée partir. Par la suite j’apprendrai qu’ils me craignent. Ils se demandent pourquoi les Soviets m’ont envoyée ».

Commence une vie de procédures entre l’URSS et la France. Elle explique, « A chaque voyage, on est obligé de s’arrêter à Moscou où on est toujours sévèrement fouillé. C’est horrible (…) Avec la double nationalité, chaque fois que je rentre à Paris recommence la procédure de visa pour l’année suivante ». Et ce jusque 1991, année de la chute du bloc de l’Est, année où Dali perd la « nationalité rouge ».

Acclimatations croisées

Française d’adoption, Dali découvre la France et les Français. « Ils parlaient tous extrêmement vite, étaient toujours très polis ». L’entrée en France se fait via la communauté dont est issue Etékhi, la « dissidence géorgienne » d’un point de vue soviétique. « Je craignais pour ma famille restée en Géorgie, mais la communauté m’avait ouvert la porte, je ne pouvais pas les ignorer », raconte-t-elle.

Rapidement viennent 1968 et les évènements de mai. « La France respirait la liberté. Tout était beau. Et soudain tout devenait triste. Je ne comprenais pas pourquoi tous ces gens étaient dans la rue. Que demandaient-ils de plus ? »

L’arrivée en Géorgie d’Etékhi est aussi déstabilisante. « Très vite on m’a demandé d’abandonner la nationalité française. Je lui ai dit à celui-là que si on me répétait ça une deuxième fois, c’était direction l’aéroport. Ce fut la dernière fois. Pour l’appartement aussi il a fallu se battre. Je me suis rendue au ministère pour exiger un logement. Le ministre nous en a trouvé un, celui-ci. L’entrepreneur nous a appelé en pleurant expliquant qu’il avait dépensé tout l’argent du ministère prévu pour l’aménager. On s’est arrangé par la suite (…) Et puis on était constamment suivi. Otar qui avait beaucoup d’humour leur jouait souvent des tours ».

Etékhi qui enseignera la très controversée méthode de piano Marie Jaëll, est aujourd’hui veuve. Elle vit à Tbilissi au milieu de ses petits-enfants et continue de lutter contre le régime. Et ce, malgré le changement intervenu en 2004 suite à la révolution des Roses qui porta Mikhaïl Saakachvili au pouvoir. « Je le déteste. Encore une fois, la masse a été séduite par l’allure, la jeunesse. Il a fait des études à Harvard… Mais il m’a l’air surtout très excité ».

Dali vit entre Paris et Tbilissi, veuve d’un second mariage, elle visite régulièrement ses fille et petite-fille qui se sont installées en Géorgie. « Ma vie est à Paris, je suis plus à l’aise en France. J’ai appris à y vivre dans la liberté. Mais cela a changé, à Paris les gens sont crispés, ils ne vont plus vers l’Etranger ».

Etékhi Djakhéli et Dali Guéorgobiani sont amies de longue date.

* « Mère » en géorgien


30 mai 2011

Une contestation qui trébuche

« Nous nous battrons jusqu’à la fin ! », scandait-on, samedi 21 mai, sur Kostava alors qu’une semaine de protestation se profilait dans la capitale géorgienne. « Je me mordrai les doigts si ce gouvernement reste au pouvoir, souvenez-vous de mes mots », renchérissait Nino Bourdjanadzé, chef de file du mouvement d’opposition l’Assemblée du Peuple.

Une semaine a passé. Nino Bourdjanadzé doit encore souffrir de ses morsures, quant aux manifestants, le bilan est amertume et ombre d’une geôle pour une bonne centaine d’entre-eux.

26 MAI

Annoncée depuis plusieurs mois la date du 26 mai aurait dû sonner le glas de la présidence Saakachvili. La prophétie n’a pas eu lieu malgré les troubles organisés à Batoumi et à Tbilissi; les relais médiatiques savamment orchestrés en Russie; les propos belliqueux d’Irakli Okrouashvili, tête de file du Parti géorgien et ex-ministre de la Défense condamné à onze années de prison vivant aujourd’hui en France où il a obtenu l’asile.

Force est de constater que si la première manifestation de samedi avait pu rassembler quelques 5.000 personnes, les jours suivants se sont soldés par la présence de seulement quelques centaines de militants. Rappelons que la révolution des Roses de 2004 avait réuni plus de 200.000 personnes…

Adoptant une stratégie de surf sur la vague des révolutions arabes, les mouvements d’opposition d’Okrouashvili et de Bourdjanadzé ont ouvertement voulu semer la zizanie dans la capitale, pour leur plus grand discrédit. Chaque jour, l’ex-speakerine du Parlement appelait les manifestants à ne pas quitter la place dans l’attente d’un lendemain plus rassembleur. En vain.

En duplex depuis Paris, Irakli Okrouashvili évoquait de son côté une arrivée triomphale le 25 mai en Géorgie via l’Ossétie du Sud, « avec l’aide de tanks s’il le faut ». Ces propos irrationnels et agressifs ont obligé les autorités à réaffimer la valeur de la loi et le mandat d’arrêt porté contre lui.

Nino Bourdjanadzé a dû revoir sa stratégie, déclarant l’indépendance de son mouvement, discréditant les propos - déjà peu crédibles - de l’ex-ministre de la Défense. Ce dernier, ne quittera d'ailleurs jamais Paris.

L’INAVOUABLE ECHEC

La confrontation a vu son point culminant atteint le 25 au soir, à minuit, heure à laquelle la police avait annoncé qu’elle disperserait la foule en vue du défilé militaire organisé le 26 pour la commémoration du Jour de l’indépendance. Réunis devant le Parlement, les manifestants se sont vus assaillis par des policiers tirant balles en caoutchouc, diffusant gaz lacrymogène et battant dans la mêlée à coups de matraques. Les heurts seront nombreux et les provocations réciproques. Les chancelleries étrangères ont demandé à ce que la lumière soit faite sur cet usage disproportionné de la force.

Le départ en trombe de Nino Bourdjanadzé ainsi que de ses sbires, constatant l’échec de la contestation, a causé la mort d’un policier et d’un manifestant, la colonne de voitures les écrasant sur son passage. La leader de l’Assemblée du Peuple n’a pour le moment pas été inquiétée, mais son mari, Badri Bitsadzé, sera poursuivi pour avoir créé et encadré des groupes armés ayant chargé violemment contre les forces de l’ordre. Nino Bourdjanadzé a expliqué que « le mouvement ne se serait pas arrêté là, si les autres partis d’opposition s’étaient joints à la contestation », un échec inavoué.

Au total, 162 personnes ont été arrêtées durant cette semaine dont 24 membres d'un groupe armé dirigé depuis Moscou par Témur Khatchichvili, ministre de l'Intérieur géorgien au début des années 1990. Certains d'entre-eux auraient témoigné indique le ministère de l'Intérieur, expliquant le rôle de Badri Bitsadzé dont la mission était de déclencher la violence dans la capitale tout en investissant les locaux de la télévision géorgienne sur le parvis de laquelle avait eu lieu les premiers rassemblements.

DEPUIS MOSCOU

Au cours de la semaine de heurts, de moindre envergure rappelons-le, la presse russe a dans son ensemble relayé la couverture d’une « guerre civile », un combat contre l’oppression, une lutte pour la liberté et la démocratie. Les médias russes ont eu vite fait de vendre la peau de l’ours Misha, alors que la contestation était et resterait finalement très marginale. Seul le correspondant de Nezavissimaïa Gazeta témoignait dès le début des évènements du peu de soutien populaire aux velléités révolutionnaires d’un groupe marginal.

Le ministère des Affaires étrangères russe a de son côté réagi sur son site (mid.ru) tout au long de la semaine à « l’absence de liberté d’expression » et à la « répression » opérée par Mikhaïl Saakachvili dans l’ex-république soviétique que Moscou avait envahi en août 2008. La même semaine à Moscou avait lieu la Gay Pride, interdite et violemment réprimée par les forces de l’ordre. Rappelons que dans la capitale russe, le rassemblement au-delà de 15 personnes sans autorisation est interdit par la loi et passible d’emprisonnement… Bassement, et comme à son habitude quand il s’agit de la Géorgie, le Quai d’Orsay russe a joué d’une rhétorique de bas-étage.

QUID DE L'OPPOSITION ?

Tout d’abord, le constat que cette frange de l’opposition qui ne suscitait que peu d’intérêt de la part des Géorgiens, est aujourd’hui anéantie. Ces auto-proclamés leaders de l’opposition travaillent davantage à leur carrière qu’à l’avenir de leur pays. Si Nino Bourdjanadzé recueillait 1% des intentions de vote, son électorat est aujourd’hui nul et son avenir bien sombre. Du côté de la contestation, la voie révolutionnaire - souvent rémunérée pour ses actes de violence contre les forces de l’ordre ou simplement pour sa présence lors des manifestations - ne suscite pas l’engouement des masses. La critique du gouvernement Saakachvili devra s’exprimer par d’autres canaux, davantage fédérateurs tout en trouvant des arguments mobilisateurs au niveau national

L’opposition, un peu plus discréditée, est quasi inexistante. Seul Irakli Alassania, ex-ambassadeur de la Géorgie à l’ONU, pourrait constituer une alternative au parti de Mikhaïl Saakachvili. Le dialogue que ce dernier a su nouer avec l’Union européenne et les Etats-Unis pourrait jouer grandement en sa faveur dans la perspective des présidentielles de 2013.

De retour sur les ondes


Après un an d'inactivité sur le blog du fait de voyages, d'expériences turques, françaises, norvégiennes et d'un retour en France fin 2010, je reprends la plume bien décidé à faire parler l'actualité en lien avec la Géorgie.

Mais revenons où nous en étions resté. Avant-dernière publication en date, le Jour de l'Indépendance le 26 mai 2010. Nous voici, un an après. Une actualité morne, une mamie qui coupe un câble ADSL réduisant son destin à une brève dans la galaxie interconnectée des médias. Des fermiers sud-africains - Boers - visitent la Géorgie invités par Mikhaïl Saakachvili et se transforment en grands propriétaires terriens du Caucase (un docu sur arte sur le sujet). Donald se décide à construire deux tours en verre, l'une à Tbilissi, l'autre à Batoumi, donnant au rêve michiste une réalité (on comprendra Trump, ndlr).
Bref, pas grand chose de susceptible de faire la une des médias. D'autant plus que la concurrence aura été rude pour être en tête d'affiche ces derniers mois : révolutions en chaîne, catastrophe nucléaire, rififi au FMI et j'en passe...

Je tenterai donc d'éclairer l'actualité géorgienne, un an avant le lancement de la période pré-électorale. Une période intéressante pour la vie civile et politique en Géorgie après un sensible endormissement depuis la guerre-éclair d'août 2008. Mais commençons par les évènements - riches - de la semaine passée qui pourraient nous en dire davantage sur les actualités de 2012. En selle !