« Il n’est en aucun question pour le moment que le domaine de Leuville devienne propriété de l’Etat géorgien », précise Irène Tzitzichvili, petite-fille de Noé Jordania, président du gouvernement de la Première république démocratique de Géorgie (1918-1921).
Lundi 23 mai, sous une chaleur de plomb, dans le parc du château de Leuville-sur-Orge (91), Irène Tzitzichvili et Mirza Davitaïa, ministre chargé des Communautés géorgiennes à l’étranger, viennent de signer le « mémorandum concernant la dévolution du domaine de Leuville à la Géorgie ». Tout un symbole pour les citoyens de celle qu’on appelle la « Petite Géorgie », cette Géorgie de France qui fut contrainte à l’exil dans l’Hexagone en 1921, après que l’armée Rouge ait envahi la jeune république du Caucase.
« Toute leurs vies, ils ont vécu dans l’espoir du retour en Géorgie. En vain. », explique Irène, aujourd’hui représentante de la société « Foyer géorgien », cette SCI créée en 1928 pour administrer la propriété de Leuville acquise par des membres du gouvernement en exil.
Un retour qui n’aura symboliquement jamais lieu malgré l’espoir suscité par l’éclaircie de la déstalinisation khrouchtchévienne. L’ouverture progressive du régime suivi du chaos des années 1990 dans l’espace post-soviétique ne permettront pas non plus le rapprochement officiel, malgré l’affirmation du Peuple géorgien en 1991 de la filiation directe avec le régime de 1918 par référendum.
Il faudra attendre l’arrivée de Mikhaïl Saakachvili au pouvoir en 2004 pour que soient entamées des négociations. Derrière cette histoire de Leuville, la communauté de France milite surtout pour que soit commémorée et enseignée en Géorgie l’histoire de cette Première république démocratique, afin de déconstruire l’histoire enseignée par les autorités soviétiques qui s’étaient bien gardées de faire l’éloge de cet épisode politique, optant plutôt pour la diabolisation et l’oubli.
Pourtant, celui-ci, inspiré par la social-démocratie et les régimes occidentaux en gestation, avait institué le jeu démocratique, mobilisant les électeurs, jettant les bases d’un état de droit moderne au profond caractère social. Ce projet de réhabilitation porté par l’institut Noé Jordania compte beaucoup aux yeux de la communauté de France. Et en ce sens, Leuville est un moyen d’arriver à ses fins.
Cette « dévolution » du domaine de Leuville ouvre la voie à une coopération entre la petite Géorgie et l’Etat géorgien. L’idée est de faire de la propriété un lieu de mémoire au travers d’expositions, d’une bibliothèque, de commémorations, en contrepartie de quoi une sensibilisation à cette histoire oubliée sera menée en Géorgie.
Encore faudra-t-il commencer par rénover intégralement le château, on ne parle même pas de l’application des normes en vigueur pour l’accueil du public… Aussi, on est encore loin de Leuville devenu propriété de l’Etat géorgien, ne serait-ce parce que légalement l’avis de l’Etat français reste indispensable.
Pour le moment, sous les arbres qui entourent la longère, le ministre porte un toast entouré d’un représentant de l’Eglise géorgienne et de l’ambassadeur de Géorgie en France, Mamuka Kudava. Sur les tables dressées, khatchapouris, badridjani et vins géorgiens viennent donner au lieu un air encore davantage géorgien. Plusieurs descendants de Noé Jordania dont son fils venu des Etats-Unis sont là pour l’occasion. On se félicite de ce premier pas, de ce rapprochement de pans d’histoire, de mémoire, disséminés dans le temps et dans l’espace. On profite de l’instant, historique.