L’actuel gouvernement géorgien a définitivement fait le choix de la voie occidentale : libéralisation, privatisations, libre circulation, désir d’adhésion à l’OTAN, regard porté vers l’Union Européenne. Néanmoins, quelques uns résistent encore et toujours à l’envahisseur au sein du Parti Communiste Uni de Géorgie. Voyage dans le temps.
Koko Gagoshvili, 60 ans, vit dans une pièce de 4 mètres carrés attenante au Musée du communisme, rue Kaspiskaya. « Le capitalisme, c’est le sida des travailleurs et des paysans » embraye-t-il dès mon arrivée, « L’Amérique et l’Europe sont des affairistes, dans 20 ans renaîtra l’URSS ! » Ancien officier du KGB, Koko dit savoir tout sur tout, il place néanmoins l’Allemagne à l’ouest de la France…
Dans ce petit parc arboré gît encore le puits et la petite maison que les Bolchéviks avaient investie dans les années 1910. Via le puits, les révolutionnaires descendaient dans une grotte ou des rotatives manuelles imprimaient la première gazette révolutionnaire. Dans leurs rangs se trouvait "le géorgien" Joseph Staline.
« Je ne peux pas te le montrer, tout est inondé en dessous, tu crois que le Gouvernement nous aide en quoi que ce soit ? Ce sont purement et simplement des ennemis du peuple ! », s’exclame Koko le regard plein de haine. Pour un bon communiste, l’état de délabrement du lieu est une véritable catastrophe. A l’époque soviétique, les écoliers et étudiants avaient pour devoir de venir régulièrement en pèlerinage sur ce haut lieu de la résistance bolchévique. « C’est ici qu’a démarré la révolution géorgienne ! »
« Si la Géorgie est aujourd’hui un pays respecté, c’est parce que c’est la patrie de Staline. C’est un dieu puissant pour nous, il avait su rassembler le peuple. Il a libéré le monde et aujourd’hui on veut nous retirer les monuments à sa gloire, c’est la honte de la nation toute entière ! Il y a bien des monuments à la gloire de Churchill ou Roosevelt, et pourtant ils n’ont libéré personne ! », s’indigne Koko.
Quand Akaki Alanya, secrétaire du comité central du Parti Communiste Uni de Géorgie, fait son entrée à l’heure dite, Koko est prié de se taire. En effet, le représentant du parti semble respecter scrupuleusement la ligne officielle. Répondant à ma question sur le nombre de membres que compte le parti, Koko et Akaki se concertent du regard, « Le parti compte plusieurs milliers de membres, à Tbilissi mais aussi beaucoup en régions. »
Akaki énonce d’emblée les trois objectifs fondamentaux de la lutte des camarades géorgiens, « Il nous faut rétablir le socialisme, recréer une union, dans un premier temps, avec la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine, et remettre le pouvoir entre les mains du peuple et non entre celles des oligarques et des bandits au pouvoir actuellement. »
Il se ravise et précise, « Mais notre objectif actuel est d’empêcher les forces de l’Otan de mettre le pied sur le territoire historique de l’Union Soviétique. » Il semble que même Akaki présente des lacunes sur l’histoire récente puisque les républiques Baltes, ex-républiques soviétiques et territoires historiques de la Grande Russie, sont bien membres de l’Otan. « Il paraît qu’où les forces de l’Otan passent, l’herbe ne repousse pas pendant cinq ans ! », renchérit Koko.
La stratégie du parti reste secrète m’explique-t-on. Les membres se regroupent le lundi en général pour discuter de ce qui se passe « dans le monde communiste », de la stratégie à adopter face aux évènements, et des manifestations à organiser. « Nous sommes le seul parti d’opposition en Géorgie, c’est pour ça qu’on nous montre si peu à la télévision, le gouvernement a peur de nous », explique Akaki, « Nous sommes un parti politique classique, on ne nous achète pas ! Le reste de l’opposition veut le pouvoir, égoïstement, nous on veut le pouvoir pour le peuple. L’opposition reçoit de l’argent du gouvernement pour qu’ils déguerpissent avec leurs tentes. Imagine si Lénine avait reçu de l’argent de Nicolas II! »
En fait, d’autres formations politiques communistes existent en Géorgie mais elles sont moins organisées. « Ils ne se réunissent qu’à la veille des élections », m’explique Akaki.
Si le parti fustige la venue des Occidentaux en Géorgie et les soutiens financiers à l’opposition mais aussi au gouvernement, l’aide de Moscou est accueillie avec beaucoup plus d’enthousiasme. Le 26 octobre dernier, 6 membres du parti sont partis en délégation à Moscou afin de rencontrer les communistes venus de 16 pays, de la Moldavie à la Lettonie sans oublier les républiques d’Asie centrale. « On a même des liens avec le Canada ! », se permet d’ajouter Koko, ce qu’Akaki s’empresse de confirmer.
« Il faut toujours respecter le Russe », m’avait affirmé Koko auparavant, « Car il a libéré le monde du nazisme. Sans les Russes, vous les Européens, vous seriez encore en train de cirer les bottes des SS! » Dans la pièce qui lui sert de logis, un drapeau de parade soviétique, des photos de Staline, de camarades, de révolutionnaires de la première heure, mais également une peinture d’Irakli II…
C'est que l'avant-dernier roi de Kartlie-Kakhétie, royaume de Géorgie occidentale(1721-1798), avait fait le choix de l’alliance russe au détriment des Ottomans. « En faisant le choix de l’alliance avec la Russie, Irakli II a sauvé la Géorgie, il a choisi la bonne route, la route naturelle », m’explique Akaki. Il semble que l’histoire soviétique de la région est bien ancrée chez les camarades du parti.
Néanmoins le rapport à la religion chez les communistes de Géorgie a été adapté à l’histoire du pays. « Dans nos rangs, certains sont croyants, d’autre athées. Moi par exemple je suis athée mais mourrais orthodoxe. Mon fils est prêtre à Mtskheta et je respecte son choix. Celui qui ne respecte pas l’histoire de son pays, de son peuple, il n’a pas de futur, il meurt. La religion est dans nos racines, dans les racines de l’état géorgien », déclare le secrétaire du parti.
« Nous étions 600.000 en 1921, nous sommes 5 millions aujourd’hui, grâce au communisme ! », m’explique-t-on. Interrogés sur les purges staliniennes, Akaki avance d’abord que les chiffres sont truqués, puis voyant mes quelques connaissances sur le sujet, il argumente : « Sans les répressions en 1937, on serait à la botte des Nazis ! Il fallait nettoyer les ennemis du peuple, c’était pour la santé de la nation et dans l’intérêt du peuple. Tu crois qu’ils font quoi aujourd’hui les dirigeants ? Ils font la même chose, mais pour leur intérêt personnel ! »
Il semble qu’être communiste en Géorgie aujourd’hui, ou pro-soviétique devrait-on peut-être dire, n’est pas sans danger. Il y a quelques mois de cela, Akaki s’est fait rouer de coups au pied de son immeuble par trois hommes cagoulés. Bilan : une dizaine de dents cassés et pas mal de contusions. « On n’a pas peur des menaces, les appels téléphoniques sont constants », explique Akaki, ce à quoi Koko ajoute, « On a perdu notre patrie l’URSS, qu’est-ce qu’on a d’autre à perdre! »
Un troisième camarade qui écoute la conversation explique que son fils a été licencié il y a trois mois quand son patron a appris que son père était communiste. « Si t’es communiste, tu n’as pas de travail ici, il faut te cacher. C’est ça la démocratie ? Alors on se soutient moralement, financièrement, on mutualise. Heureusement, on a des gens qui nous soutiennent psychologiquement par leur discours, comme Vladimir Khomeriki, qui vit à Moscou et est très impliqué dans les relations Russie-Géorgie en tant que président du fond pour l’Union des peuples russe et géorgien », m’explique Akaki en me montrant sa photo dans le troisième numéro de la gazette du parti.
Fréquemment, ce dernier se rend au parlement pour déposer de vaines motions de censure, le parti n’ayant aucune représentation parlementaire. Parfois, quelques communistes osent protester, se montrer, à leurs risques et périls… Tous relativement âgés, ils vivent dans la nostalgie d’une URSS révolue où l’état payait les retraites, assurait les soins mais aussi le chauffage. Où Staline et la Géorgie était respectés au sein de la vaste Union de l’Amitié des Peuples…
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